Ces entreprises qui nous racontent des histoires

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Tribune Olivier Sère, Vice-président Havas Paris and enseignant à Sciences Po : Nous entretenons une relation paradoxale avec les entreprises.

#JaimeLaCom

Pour une marque, la capacité à se raconter est devenue centrale dans le succès d’une entreprise. Le storytelling, est désormais dépassé. Il laisse la place à des histoires plus riches, plus variées, plus étonnantes.

Olivier Sère, Vice-président Havas Paris & enseignant à Sciences Po.

Nous entretenons une relation paradoxale avec les entreprises. Nous pensons qu’elles peuvent changer le monde, qu’elles ont, plus que les États, la capacité d’agir et de faire bouger les lignes mais, dans le même temps, nous doutons parfois de leurs actes et nous nous méfions de leurs discours.

Ce sentiment de méfiance, qui irrigue aujourd’hui l’ensemble de la société, se manifeste envers les histoires verticales mais aussi horizontales.

D’abord, la méfiance envers les histoires verticales, venues d’en haut. Les « contes » imaginés dans des bureaux (qu’il s’agisse des gouvernements, des leaders, des boards… bref, de toute instance de pouvoir) ne sont plus « achetés » argent comptant. Le spectateur, l’auditeur, le lecteur ne veut plus être passif : il souhaite au contraire contribuer. Sans doute le désire-t-il depuis très longtemps mais les réseaux sociaux lui en donnent enfin la possibilité.  

Ensuite, la méfiance envers les histoires horizontales, venues d’internet. C’est sur la toile que sont nées ces fameuses « fake news », conçues pour contrer et invalider les récits « officiels ». Avec elles, nous entrons dans une autre phase : une sorte de « guerre des histoires », chacun essayant d’imposer sa « réalité » à l’autre via des récits plus ou moins élaborés. 

Dans ce contexte de méfiance voire de défiance, les entreprises se trouvent désormais à la croisée des chemins. Elles peuvent continuer d’emprunter le chemin de la facilité, celui du storytelling traditionnel dont l’objectif était au mieux la simple mise en scène de faits, au pire des arrangements avec la vérité. Mais nous sommes aujourd’hui sans pitié avec les entreprises qui croient nous tromper.

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Prenons à titre d’exemple l’entreprise WeWork. Adam Neumann,  le fondateur au physique de prophète, a eu l’idée de faire passer le travail du « me au we » avec une mission quasi-messianique : « our mission is to elevate the world’s consciousness ». Rien que ça ! Un noble dessein qui convaint : Masayoshi Son, patron de Softbank se serait laissé séduire par l’entrepreneur en moins d’un quart d’heure, durant un trajet en taxi à New York. Il deviendra l’investisseur principal de WeWork. Mais l’hubris de Neumann ne va pas tarder à provoquer sa chute. Et c’est la préparation de l’introduction en Bourse qui le fait trébucher, en grande partie à cause d’une equity story mal ficelée. 

Plusieurs erreurs narratives sont alors commises à commencer par le positionnement de l’entreprise : Adam Neumann voulait positionner WeWork comme une entreprise technologique, afin de justifier une valorisation boursière stratosphérique. Le mot « technologie » revient pas moins de 123 fois dans la présentation pour l’IPO ! En vain. L’histoire ne prend pas. Les différents publics ne font pas le lien entre « espace de co-working » et « innovation tech ». Même avec le meilleur récit, personne ne peut confondre Century 21 ou Airbnb et Apple.  A tel point que le  successeur d’Adam Neumann, Sandeep Mathrani effacera ce début malencontreux pour recentrer clairement le discours sur l’immobilier. Le récit prendra alors une toute autre tournure : « fournir un espace de services et de solutions où les indépendants comme les entreprises peuvent aller de l’avant. » On est loin du ton prophétique des débuts qui voulait, rappelons-le, « élever la conscience du monde ».

Autre rock star des affaires, mais à la carrure différente : John Legere, patron de T-Mobile, filiale de Deutsche Telekom aux États-Unis, de 2012 à 2020. C’est probablement le dirigeant le plus iconoclaste des États-Unis. A son arrivée en 2012, il fait alors le vœu de « secouer le statu quo », de disrupter le marché des télécoms, donnant à T-Mobile la signature « The Un-Carrier » (autrement dit anti-opérateur) et s’affublant même du titre de « un-CEO ». Le contraire, le contre-pied, voilà l’angle du récit. Et cela fonctionne : T-Mobile affiche, année après année, des chiffres impressionnants (de 33 millions de clients en 2012 à 80 millions en 2019 avec une croissance du cours de Bourse de 23% en 2019 !).

Ce succès culmine avec le rachat de Sprint, son principal concurrent. Legere, patron aux 6,5 millions de followers, n’hésite pas à poster plus de 20 tweets par jours pour asseoir la narration et la progression de l’entreprise. Les assemblées générales s’apparentent à de véritables shows. Toujours imprévisible, il lance une émission culinaire le dimanche (Slow Cooker Sunday) pour raconter l’histoire de T-Mobile tout en préparant ses recettes préférées ! Une façon originale de consolider son image d’iconoclaste et d’attirer de nouveaux fans. 

La bonne histoire… nous la croyons. 

En contrepoint du storytelling traditionnel, l’autre chemin que les entreprises peuvent emprunter consiste donc à bâtir un récit stimulant, novateur, engagé, incarné et sincère ! Une entreprise qui délivre la bonne histoire, crédible, argumentée, habitée par des engagements concrets, nous la croyons. 

Pour aller plus loin sur ce chemin vertueux, les entreprises doivent aujourd’hui être capables de se projeter vers notre futur commun, de proposer une vision pour l’ensemble du corps social sur des défis sociétaux variés. 

A titre d’exemple de ces différents défis, examinons la narration du futur. Elle peut se faire de bien des façons et brasser bien des thèmes, du plus quotidien au plus déroutant. Parmi les tendances fortes, citons le néonomadisme avec les sociétés telles qu’Airbnb, les différentes sortes de co-working et, d’une façon générale, tous les services qui permettent de pratiquer une activité sans dépendre d’un lieu spécifique. La déterritorialisation, ce mouvement qui dissocie les activités et les lieux, s’impose comme l’un des mouvements de fond de nos sociétés et du futur en gestation.  

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Autre prisme pour raconter l’avenir, le transhumanisme. On y décrit un homme augmenté, modifié. La société Calico, filiale d’Alphabet-Google, en fait une réalité de plus en plus tangible. Enfin, si nous voulons explorer les frontières de la science-fiction (de plus en plus proche de nous, ceci dit avec l’atterrissage du rover Perseverance sur Mars…) , il faut également parler du multiplanétarisme,la recherche et l’organisation d’une vie sur une autre planète que la Terre. Idée folle ? Prospective perdue dans les étoiles ? Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, n’est pas de cet avis et investit massivement dans le domaine via sa société Blue Origin. Avec, à la naissance du projet, un constat aussi simple qu’effrayant : la Terre ne suffira plus pour héberger les êtres humains, explorons – avec l’armée américaine comme partenaire, preuve du sérieux et de l’ambition du projet – d’autres contrées stellaires.

C’est ainsi que le récit de marque, la capacité à se raconter est devenue centrale dans le succès d’une entreprise. Le storytelling, est désormais dépassé. Il laisse la place à des histoires plus riches, plus variées, plus étonnantes.

https://www.dunod.com/entreprise-economie/ces-entreprises-qui-vous-racontent-histoires-au-dela-du-storytelling

Photographie d’Olivier Sère par © E. Legouhy

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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