Dans un monde fragilisé par la défiance envers les institutions et les marques, le marketing doit être un tiers de confiance

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Citoyens et consommateurs sont de plus en plus critiques vis-à-vis des institutions et des marques. Le marketing fait-il partie de l’équation ? Le doute est permis. Dans une société de défiance, plusieurs facteurs entrent en jeu, au premier rang desquels le web social, qui fait de tout épisode une conversation, un débat...

#Paroled’Experte

Nous sommes dans une société panoptique, où tout se voit, tout se sait, où chacun peut faire d’un épisode une vérité universelle.

Est-ce à dire que le marketing ne tient aucun rôle dans cet état de fait ? Ce serait aller un peu vite.

En effet, le marketing pourrait être considéré comme une partie du problème, puisqu’il outille marques et institutions dans la poursuite de leurs objectifs. Si celles-ci ne sont pas vertueuses, alors le marketing leur est utile pour poursuivre leur but, honnête ou non. Mais celles-ci courent alors le risque d’être mises à nu, dans un monde où tout va très vite et tout se sait.

En revanche, si marques et institutions choisissent d’honorer leur mission avec convictions et bonne volonté, alors le marketing sera leur meilleur allié. Pour mieux écouter leurs publics, pour mieux s’adapter au monde contemporain, pour innover de manière saine et responsable, pour être créateur de valeur et tendre vers une nouvelle légitimité partagée.

Tribune de Juliette Darbois, fondatrice et dirigeante du cabinet Juliette Darbois Conseil, spécialisé en innovation, data-marketing et trend forecasting spécialisé dans le luxe, l’innovation, la culture et les politiques publiques.

Membre du Conseil Scientifique de l’Adetem.

Le marketing, c’est le pouvoir, pour les entreprises et institutions, de se mettre au diapason des tendances & mutations socio-culturelles.

Juliette Darbois, fondatrice et dirigeante du cabinet Juliette Darbois Conseil.

Dans un monde de défiances, est-ce que le marketing fait partie de l’équation ?

Les récents événements – Nahel, Sainte Soline, Soulèvements de la Terre – ont montré à quel point les institutions et, plus largement, la sphère politique, étaient fragiles, souvent déconnectées de la société, peinant à trouver des solutions – outre l’argument d’autorité -, pour apporter apaisement et dialogue à une frustration grandissante.

Quant aux entreprises, certaines n’inspirent pas ou plus confiance. Un exemple, le greenwashing. Aujourd’hui, « 75% des Français se disent méfiants à l’égard des promesses écologiques des entreprises, d’après une étude publiée mardi par Goodvest, un cabinet de conseil en investissement. » C’est avéré. Mais est-ce le fait du marketing ? Quand un acteur économique propose un produit ou un service qui ne correspondent pas à un ensemble de normes et valeurs, n’est-ce pas l’acteur qui est mis en cause plutôt que sa stratégie marketing ?

Fragilité ? Défiance ? Les mots sont faibles pour décrire l’amère réalité des dysfonctionnements qui fissurent notre tissu social et économique. Ainsi, si j’évoque les frustrations qui se déchaînent à l’encontre des institutions et entreprises, je ne pense pas immédiatement … Au marketing.

Je pense que ces tensions sont plus visibles aujourd’hui qu’avant, que leurs racines sont plus profondes et qu’elles sont exacerbées par le web social.

Dans une économie et une société panoptique, tout se sait, tout se voit.

Dans un monde où le web social agit comme un Pouvoir à part entière, chacun peut avoir voix au chapitre, chacun peut trouver sa vérité. TikTok, Reddit, Threads, Instagram, Snapchat, Twitter…

Tout nous engage sur la voie de la longue traîne où tout se dit, tout se sait, rien ne s’oublie.

Dans nos sociétés « conversationnelles », chacun se fait juge, à l’aune de ses expériences, de son histoire personnelle, de ses émotions, de son héritage culturel et social, de ses valeurs.

Dans une société métonymique où les fake news s’entassent, la partie prend le pas sur le tout. La simplification à l’extrême est un risque. C’est une société où toute histoire personnelle peut, d’un coup de « réel », devenir vérité universelle. Tout cela fractionne, comme autant d’ondes de choc, notre rapport au Soi, à l’Autre et au monde.

Par capillarité, l’onde sismique se propage sur les entreprises et institutions.

Tant de zones de clivage qui les mettent à mal, à chaque maladresse, chaque malhonnêteté, chaque incohérence, chaque lâcheté, aussi.

Souvent, marques et institutions sont trop lentes, trop pachydermiques, trop souvent mal représentées, peu outillées pour encaisser le choc.

A ce stade, certaines d’entre elles ont recours aux outils et techniques qui sont à leur disposition pour « survivre » ou continuer à exister.

Ainsi, le marketing peut être l’outil par lequel se propagent et s’amplifient les vulnérabilités de nos sociétés et économies.

En effet, la prétérition, le détournement, l’opacité, les faux labels, les mensonges et autres tromperies ne sont-ils pas autant d’outils marketing avec lesquels certains acteurs n’hésitent pas à jouer ?

Le marketing n’est-il pas, d’une certaine manière, l’instrument de la déconnexion entre les citoyens et leurs représentants ?

Le marketing ne joue-t-il pas un rôle crucial pour inciter à pousser toujours plus de produits, toujours plus de services, parfois au détriment du consommateur ?

Que ce soit pour gagner du terrain, développer ses parts de marché ou par volonté de conservation d’un ordre établi, insécurité, déni du changement, peur de l’inconnu, lenteur d’incubation des nouveaux modes de consommation… Peu importe le motif, la réalité est là.

Institutions et entreprises souffrent de ce nouveau paradigme, à l’instar des magasins Macy’s qui n’ont su s’adapter ni aux tendances du marché (« less in-store, full e-commerce ») , ni au Covid et ont été réduits à fermer pas moins de 170 points de vente en depuis 2017… Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.

Pour y remédier, il est urgent de réhabiliter la notion d’échange.

Au-delà de ces mouvements agités, il faut revenir à ce qu’est le marketing. Il y a en son cœur l’idée de créer des convergences entre les individus, les groupes et la société, des convergences par lesquelles besoins et désirs sont satisfaits.

Dans le marketing, il y a la notion d’échange.

Si celle-ci est détournée, alors le marketing devient trompeur, mensonger et manipulateur, fragilisant ainsi le tissu économique et social de nos sociétés.

Mais si celle-ci est honorée, alors c’est toute la société qui est tirée vers le haut.

C’est peut-être là que le marketing a un rôle à jouer, justement.

Il n’y a pas de marketing sans humains.

Il y a ce que le marketing peut être ou ne pas être. Mais cela dépend des acteurs économiques et sociaux qui s’en servent. Le marketing est un ensemble d’outils, une courroie de transmission entre une personne morale et des personnes physiques. Il ne porte en lui ni responsabilité, ni culpabilité. Cela, c’est l’affaire des femmes et des hommes, qu’ils soient citoyens, représentants d’institutions ou d’entreprises ou autres …

Le marketing est une affaire de convictions.

Au-delà du marketing, il s’agit ici d’une question de valeurs. Il n’y a pas de confiance sans valeurs. Il n’y a pas de marketing sans échange qui se respecte.

« Dans un monde fragilisé par la défiance envers les institutions et les marques, le marketing doit être un tiers de confiance. » Cette 5ème évidence des « 36 évidences pour demain » formulées par le Conseil Scientifique de l’Adetem se conjugue nécessairement avec la 17ème : « Un marketing bien ordonné commence par s’en convaincre soi-même ».

A nous de savoir où nous plaçons nos convictions, comment nous choisissons de les exprimer, dans quel cadre, pour que, du marketing, ne dérive pas la manipulation, pour que, du marketing, ne découle pas la tromperie sur marchandise.

Le marketing a un rôle à jouer, en ce qu’il porte en lui les normes et valeurs d’une société.

Le marketing, c’est tout ce qui relie un projet – public/ privé ; produit/ service/ expérience – à ses publics – consommateurs, citoyens …

Pour que le marketing tienne ses promesses, il faut que le projet tienne les siennes : servir besoins et envies pour les entreprises, servir le bien commun et le « vivre ensemble », pour les institutions et la sphère politique. Et ce, avec transparence, humilité, bienveillance et honnêteté.

Il faut aussi savoir faire exister les publics. C’est fondamental.

Dans un monde de défiances généralisées, le marketing est là pour apporter des gages de confiance.

Le marketing est avant tout au service des entreprises, des institutions et des individus, comme autant de citoyens-consommateurs. C’est la motivation, la finalité qui définissent le bien-fondé et la légitimité de tout action d’échange ou de communication. Il y a ici une question de loyauté, de respect mutuel. Dans la relation qu’entretiennent les entreprises avec les consommateurs, les institutions avec les citoyens, il y a un engagement réciproque. De respect, d’honnêteté, de liberté et d’information. La responsabilité de chacun est engagée.

Derrière un plan marketing, il y a un objectif porté par des femmes et des hommes, qui dirigent entreprises et institutions. Le marketing engage. Il dit, proclame, promet, propose. Bref, il engage.

Sans contrat social, point de marketing.

Il est aujourd’hui impensable d’avoir un projet d’entreprise qui ne porte en lui une mission plus globale, qui engage une vision économique et sociétale, une mission qui dépasse le simple fait de « faire le job », au jour le jour.

Le marketing a son rôle à jouer pour repolitiser la société et faire en sorte que les entreprises prennent leur place dans la démocratie.

Certaines entreprises et institutions ont pris ce rôle à bras le corps. En particulier pendant le Covid. LVMH, W. Grant & Sons, …Les exemples sont nombreux.

Puis George Floyd a changé les esprits à jamais. Avec #BlackLivesMatter, ce sont des dizaines de nos « love brands » qui ont rejoint le mouvement : Hennessy, Nike, Coca, Levis, …

Puis la plupart ont poursuivi leur engagement démocratique, juste avant l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

Le marketing, avec ses nouveaux outils (ils se transforment sans cesse), allait être au service d’une nouvelle mission pour les entreprises et institutions. La consumer-centricity, l’exigence d’innovation et de transformation, toutes ces dynamiques allaient réconcilier les personnes morales avec un enjeu plus large. Celles-ci pouvaient enfin espérer retrouver une légitimé dans un espace public qui les avait tout simplement expulsées : le web social.

Dans une société panoptique, le web social et les technologies de pointe constituent une opportunité de taille pour faire jouer au marketing tout son rôle.

Le web social nous ouvre aujourd’hui la possibilité d’exercer notre vigilance et inverse le rapport de force : c’est désormais aux entreprises et institutions de faire bon usage du marketing pour apporter les preuves de leur vision, de leurs missions et du bien fondé de leurs actions. Les marques de luxe, à l’instar d’Aura Consortium blockchain, qui réunit LVMH, Prada et Richemont, qui ont commencé à investir le champ du web 3.0 pour apporter à leur client des gages d’authenticité et de confidentialité, l’ont bien compris.

Le marketing est démocratique par essence.

Il porte en lui les germes de la société que nous façonnons, jour après jour.

Le marketing n’est pas qu’un arsenal d’outils, c’est un pouvoir comme les autres, au fond. Le marketing, c’est l’échange avec autrui, la cocréation d’un imaginaire collectif, le partage d’un espace public divers et inclusif, la dissémination de valeurs et normes communes.

Il faut être précis. Certaines entreprises s’y engagent et y travaillent. Il y a des entreprises qui cherchent à bien faire car elles sont mues par l’envie de prospérer, certes, mais de prospérer avec leur société, dans leur époque, et, ainsi, elles sont aussi motivées par une vision, une valeur : servir le bien commun.

D’aucuns parleraient ici d’intérêt général. Je préfère le « bien commun », car il porte en lui l’idée d’un partage de valeurs. Il nous faut penser et appliquer un marketing de la bienveillance, de la loyauté, pour qu’entreprise et institutions investissent à bras le corps leur mission, prennent leurs responsabilités et occupent pleinement leur place dans la chaîne de valeur, non seulement économique mais aussi sociale et politique.

Par exemple au sein du groupe La Poste :

Sa porte-parole, Nathalie Collin, a exprimé à Vivatech, en juin dernier, que la mission de La Poste dépassait le simple cadre de l’entreprise : « Ce que nous faisons à La Poste, c’est aussi démocratique. »

La Poste doit se transformer et innover ? Qu’à cela ne tienne. Une école IA et data sera créée.

La Poste a du mal à recruter, et qui plus est des femmes ? Qu’à cela ne tienne. Aucune promotion, au sein de cette école, ne verra son effectif déséquilibré par une proportion excessive de profils masculins : « Je ne veux pas entendre qu’il n’y a pas de femmes, trouver 50 % de la population n’est pas si compliqué », explique Nathalie Collin, DG de la branche Grand Public et Numérique du groupe. Si les publics féminins ont moins tendance à venir postuler, alors ce sera à La Poste d’aller les chercher et les convaincre.

Savoir écouter, savoir agir et réagir dans le bon timing, avec le juste ton, avec respect et avec mesure. Dans l’humilité, la bonne volonté et la transparence. Voilà les clefs que nous offre le marketing, dans toutes ses lettres de noblesse, pour honorer notre mission.

Le marketing doit intervenir comme un tiers de confiance, pour garantir la probité des instances politiques, sociales et économiques et, partant, construire une prospérité et un vivre-ensemble apaisés et sereins.

C’est à nous, professionnels, citoyens et consommateurs, membres d’un même corps économique et social, de tenir les rênes de notre société et garder le cap de notre métier.

Le marketing doit être protégé pour prospérer et contribuer à une croissance saine et partagée.

Nous, marketeurs, devons endosser ce rôle de vigies, de tiers de confiance.

C’est à nous, professionnels du marketing, qu’il revient de faire valoir nos convictions, nos espérances, et aussi nos limites.

C’est à nous qu’il revient de jouer ce rôle de passeur, pour structurer de manière plus prospère et saine le monde d’aujourd’hui. Pour nous, comme pour les générations à venir.


Manifeste du Conseil scientifique / 36 évidences pour demain.

Pour découvrir les 2 Manifestes, cliquez sur les liens ci-dessous :

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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