Le marketing est le compagnon incontournable de l’innovation

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Tribune Frédéric Cantat, Pilote de la transformation, Direction des programmes et de l’appui aux politiques publiques IGN : Pour l'Adetem le marketing est une [des] fonction[s] de l'entreprise dont le rôle est d'assurer le futur de celle-ci.

#JaimeLaCom

Disons-le tout de go. Le marketing n’a jamais eu bonne presse en France. Qui n’a jamais entendu, voire prononcé soi-même en guise de jugement définitif un « ça c’est du marketing », exprimé indubitablement de façon péjorative. Autrement dit, dans le meilleur des cas « c’est creux, fumeux, sans valeur ajoutée », et au pire « c’est de la manipulation ».

Le sujet est sur la table depuis une dizaine d’années [1].

Et nul ne peut affirmer que la parution fin 2015 d’un livre blanc [2] l’abordant sans détour et (pro)posant la première pierre de la responsabilité sociétale du marketing n’ait vraiment écorné le stéréotype. Sans vouloir « refaire ici le match », questionnons-nous tout de même sur « les racines du mal ».

Faisons le constat tout d’abord que sur le plan académique le marketing semble enkysté dans la deuxième moitié du XXème siècle. Aucun manifeste, livre blanc ni ouvrage du XXIème « n’imprime » vraiment, pas même le Cluetrain manifesto[3] qui était pourtant porteur, au crépuscule du siècle dernier, d’une magnifique promesse de lendemains qui chantent, respirent et inspirent. Pour preuve, le dernier ouvrage aujourd’hui [4] référencé à l’annexe bibliographique de la fiche Wikipédia du marketing est… le best-seller mondial Marketing Management de Philip Kotler (16ème édition publiée en 2019… 52 ans après la première).

Quelle que soit la qualité des mises à jour faites au fil des nouvelles éditions, on voit bien, avec cette somme de près de 800 pages à l’arrivée, que celles-là n’ont pu que se sédimenter les unes après les autres. Au final, la Bible du « Pape du marketing » [5] n’est plus qu’un vieux grimoire indigeste et inadapté aux transitions (sociales, écologiques, énergétiques, sanitaires…) dont nous devons nous saisir.

Indigeste et insupportable même aux yeux des nouvelles générations

A l’instar des étudiantes et étudiants de HEC – un exemple parmi tant d’autres depuis la publication en 2018 du Manifeste étudiant pour un réveil écologique [6] – qui écrivaient fin 2020 une lettre ouverte [7] au conseil d’administration de leur école pour exiger des réformes :

« (…) les enseignements demeurent en inadéquation avec ce que sont aujourd’hui et surtout ce que seront demain l’économie, la finance et la société. Ils n’intègrent pas suffisamment les questions écologiques et sociales, les réduisant au mieux à des « externalités négatives » et au pire à des opportunités marketing (…) ».

Comment pouvoir espérer répondre aux défis de l’Anthropocène avec des recettes concoctées à l’ère de la société de consommation heureuse (et aussi émancipatrice, ne l’oublions pas) ?

Bref, figer le marketing dans les livres [8] conduit à l’anachronisme [9].

Une fois ceci posé, passons au constat suivant : le marketing n’a jamais su jusqu’à présent gagner ses lettres de noblesse, en France comme ailleurs. Est-ce dû à un tropisme anglo-saxon trop marqué (pour la France) ? Est-ce parce qu’il s’est construit au fil de l’eau, de façon pragmatique et opérationnelle, empruntant en les adaptant des pratiques et méthodes d’autres disciplines, expérimentant les siennes ?

« (…) L’histoire du marketing est une branche de l’histoire des entreprises – business history en anglais – elle-même considérée comme une branche cousine de l’histoire économique. Les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire des pratiques commerciales et à l’histoire de la consommation proviennent de disciplines comme l’histoire, la sociologie, l’économie (…)» [10].

Pas d’écoles ni de courants, pas plus que de controverses ni de prix Nobel en marketing

Sorte de cousin honteux de la famille des sciences (économiques et comportementales en particulier) et de la sociologie ? Quand en économie un Adam Smith initie la « conversation » néoclassique au XVIIIème siècle avec sa théorie de la « main invisible » [11], elle est poursuivie ensuite par Ricardo, Walras & Cie.

D’autres avancent plus tard d’autres propositions, telle la rationalité limitée [12]. Cette dernière constituant un camp de base pour Elinor Ostrom dans ses analyses sur la gouvernance économique, en particulier des biens communs [13], qui démontrent qu’une troisième voie est possible (en sus de l’État ou de la propriété privée).

D’autres courants de pensée économique ont ainsi pu être « nobélisés » : la théorie des perspectives (Daniel Kahnemann – 2002), fondatrice de l’économie comportementale, consolidée en 2017 avec Richard Thaler [14].

L’appel récent d’Esther Duflo [15] « à pratiquer l’économie comme une science véritablement humaine » en se basant sur l’expérimentation et l’observation de terrain notamment (r)allumera sans doute une lueur d’espoir pour les « plombiers » du marketing en mal de reconnaissance.

L’herbe n’est pas forcément plus verte dans le jardin des (voi)(cou)sins.

Et surtout la crise sanitaire a remis l’innovation au centre du jeu. Or les pratiques marketing « ancestrales » d’écoute, d’observation, d’interaction et de tests, de détections des signaux faibles, sont désormais largement reprises et adaptées un peu partout :

  • management de l’innovation (design thinking, design de services, etc.),
  • conduite de projets innovants (méthode Agile, programme beta.gouv…),
  • intelligence collective et innovation ouverte…

Jusqu’au cœur des organigrammes des organisations, au sein desquels le vocable marketing a pu parfois s’y faire « ghoster » ces dernières années, mais pas ses méthodes [16].

Le marketing est le compagnon incontournable de l’innovation, c’est une évidence [17].

Et jamais jusqu’à présent l’urgence du rôle sociétal qu’il doit avoir n’a point avec autant d’acuité. En commençant par permettre la rupture de la relation bilatérale fournisseur consommateur. Puis par déconstruire, lorsqu’ils existent encore, les modèles d’hyper-consommation (n’oublions pas qu’après le temps de l’émancipation a pu venir parfois le temps de l’obsolescence programmée).

En proposant une troisième voie, désirable (pour les consommateurs, pour les collaborateurs, pour les citoyens), inclusive (pour tous) et durable (pour la planète et pour les organisations en particulier). Porteuse de sens et de bien-être.

Revenons à la fiche Wikipédia marketing [18] : « Pour l’Adetem le marketing est une [des] fonction[s] de l’entreprise dont le rôle est d’assurer le futur de celle-ci ».

Pas grand-chose à ajouter hormis « dans un environnement durable et inclusif ». Peut-être qu’un jour, le « vilain petit canard » sera vu autrement. Et/ou qu’il continuera à rester dans l’ombre. Cela n’est pas très important en réalité.

Puisse-t-il simplement (continuer à) contribuer à un futur désirable, inclusif et durable…


Notes :

[1] Cf. Emmanuelle Le Nagard et Jean-Luc Giannelloni dans Décisions Marketing n° 81.

[2] Le rôle sociétal du marketing, Livre Blanc Afm-Adetem.

[3] Cf. le Manifeste des évidences : https://www.cluetrain.com/manifeste.html

[4] A la date du 15 décembre 2022.

[5] Surnom donné à Philip Kotler.

[6] Cf. https://manifeste.pour-un-reveil-ecologique.org

[7] Cf. HEC Paris a besoin d’un Dean engagé : https://mailchi.mp/b3500c441e25/lettre_hec_publique

[8] Peut être cité aussi l’ouvrage Mercator, l’autre Bible du marketing, dont la 13ème édition a été publiée en 2021. 40 ans après la 1ère !

[9] 10ème évidence des « 36 évidences pour demain » formulées par le Conseil Scientifique de l’Adetem : https://adetem.org/club/conseilscientifique/

[10] Pierre Volle dans Marketing : comprendre l’origine historique – Eyrolles.

[11] Qui dit que la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général.

[12] Concept selon lequel la capacité de décision d’un individu est altérée par un ensemble de contraintes (manque d’informations, biais cognitifs, manque de temps…). Cela a valu à Herbert Simon le prix Nobel d’économie 1978.

[13] Qui lui valurent de recevoir avec Oliver Williamson le prix Nobel d’économie 2009.

[14] Également co-auteur avec Cass Sunstein du livre Nudge (la méthode douce pour inspirer la bonne décision).

[15] Appel lancé le 24/11/2022 à l’occasion de sa leçon inaugurale de la chaire Pauvreté et politiques publiques du Collège de France dont elle est titulaire. Esther Duflo a reçu aux côtés de Michael Kremer et Abhijit Banerjee le prix Nobel d’économie 2019.

[16] La lecture de l’organigramme de la mission innovation publique de la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) illustre bien ce dernier point. Design de services, sciences comportementales, intelligence collective, partenariat pour un gouvernement ouvert, réseau des laboratoires d’innovation publique… le composent.

[17] C’est même la 8ème des « 36 évidences pour demain » formulées par le Conseil Scientifique de l’Adetem : https://adetem.org/club/conseilscientifique/

[18] Toujours à la date du 15 décembre 2022.


Manifeste du Conseil scientifique / 36 évidences pour demain.

Pour découvrir les 2 Manifestes, cliquez sur les liens ci-dessous :

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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