Les « class actions » ou la faillite de la relation client

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Jacques Marceau, Président d’Aromates Relations Publiques, enseignant à Sciences Po Aix-en-Provence, Administrateur de Syntec Conseil en Relations Publics.

L’élection présidentielle a relancé le débat et les candidats l’ont annoncé : ils sont ouverts aux « class actions », « actions de groupes » en français. Cette prise de position semble être un détail au regard des enjeux auxquels notre pays est aujourd’hui confronté. Et pourtant, elle révèle une cassure historique, un divorce entre les consommateurs français et les entreprises qui leur fournissent des biens et des services.

En effet, et si l’on écarte l’hypothèse d’un accès de populisme pré-électoral, que veulent nos politiques en donnant la possibilité aux consommateurs de se regrouper pour demander réparation ?

Protéger encore davantage les consommateurs contre les dérives d’un capitalisme débridé ?

Ne pas laisser impunis l’arrogance et le mépris affichés par certaines entreprises vis-à-vis de ces derniers ?

Palier le manque de concurrence dans notre pays par un contre-pouvoir accru des consommateurs ?

Voilà donc que le projet de 2007, qui avait fait long feu tellement les amendements pour le rendre acceptable l’avaient vidé de sa substance, refait surface. Et pour le plus grand bonheur des professions juridiques pour lesquelles il représente une source presque inépuisable de business, sans oublier celui des conseils en communication, dont je suis, et qui auront fort à faire pour restaurer des images de marque laminées par des procès fleuves.

En ces temps de campagne, on nous a rabâché, et de toutes parts, nos fameuses valeurs républicaines. En effet, et de ce que j’en ai compris, notre démocratie fonctionne sur la base d’un socle de valeurs partagées, consenties et assumées par les citoyens. Du moins par la majorité d’entre eux. Ces valeurs sont ce que l’on appelle communément le ciment d’une nation. Ce ciment, il est aisé de constater qu’il se craquèle, se délite et menace ainsi l’intégrité de tout notre édifice républicain. Nous sommes ainsi entrés dans un monde où l’individualisme est devenu la norme et où ce que certains appelaient la tentation collectiviste semble avoir cédé la place à la menace du communautarisme.

La relation qu’entretient l’entreprise avec ses clients n’a pas échappé à cette fâcheuse tendance et au délitement général du lien social. Cette relation s’est en effet considérablement judiciarisée, et par là même dégradée, ces dernières années. Les raisons de cette dégradation sont multiples et il n’est pas dans mon propos d’en examiner ici tous les détours. Citons néanmoins, et à titre d’exemple, la sophistication des technologies et la complexification des offres qui requièrent une relation client qui n’a jamais été aussi indigente et dépersonnalisée que depuis que l’on a inventé ce concept. La financiarisation de l’économie et la gouvernance des entreprises qui contraignent ces dernières à des niveaux de rentabilité peu compatibles avec un parfait respect du consommateur. Et peut-être surtout, la contamination de notre droit continental par une vulgate du droit anglo-saxon imposant une relation basée sur le couple contrat-contentieux plutôt que sur le couple estime-confiance. Ainsi, la relation qu’entretient l’entreprise, non seulement avec les consommateurs mais encore et plus généralement avec toutes ses parties prenantes, s’est suffisamment dégradée pour que se développe un sentiment de défiance vis-à-vis des marques et qui affecte les mécanismes normaux de la relation commerciale. La marque, si elle reste un agrégateur social et un signe d’appartenance à une communauté, ne remplit plus, et de toute évidence, la fonction de garantie de qualité d’un produit ou d’un service. Il est maintenant révolu le temps où l’on disait : « Je choisis cette marque parce que je lui fais confiance »…

L’action de groupe représente ainsi la sanction, non pas à la faute d’une entreprise ayant entraîné un préjudice pour les consommateurs, mais à l’erreur consistant à croire que la marque se suffit à elle-même et d’avoir oublié qu’elle n’existe que dans le regard et le cœur des consommateurs. La marque, en tant que telle, ne vaut rien. Ce qui a de la valeur et représente même le principal actif immatériel de l’entreprise, c’est la relation qu’elle entretient avec ses consommateurs. Avoir sacrifié la relation client sur l’autel de la rentabilité coûtera cher, très cher, non seulement à nos entreprises mais encore à notre économie tout entière et donc, in fine, au consommateur.

Propos recueillis par Alexia Guelte Morot, Responsable Communication Externe de l’Argus de la presse.

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