Les débats télévisés : l’exercice de style des politiques

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Culture RP a rencontré Gaël Villeneuve, Docteur en science politique de l’université Paris 8 / Laboratoire Communication et politique et auteur de « Les débats télévisés en 36 questions-réponses » aux éditions PUG (Presses Universitaires de Grenoble).

Ces 30 dernières années, le ton adopté dans un débat politique a-t-il évolué ?

Un certain ton a disparu : le ton solennel, un peu compassé, que prenaient les élites politiques françaises pour répondre aux questions de leurs interviewers. Ce ton lent, un peu glacé, de l’élite politique, on le trouve encore dans les interviews données chez Anne Sinclair à « 7 sur 7 », ou chez les invités de François Henri de Virieu pour « l’heure de vérité ». Ce ton-là venait de loin, c’était celui d’une élite politique parisienne aux commandes de ce que Maurice Duverger avait appelé la « monarchie républicaine ». Ce ton disait en somme : « Le roi, c’est moi, et j’ai l’honneur de vous le faire entendre ». Ce ton-là a à peu près disparu dans la mesure où nos politiques sont aujourd’hui de plus en plus fascinés par les managers et les chefs d’entreprises.

Le discours politique qui se tient dans les débats télévisés est donc aujourd’hui moins littéraire, plus chiffré ; moins globalisant, il propose des projets sur le court terme ; en ce sens, les évolutions du ton dans les débats télévisés ressemblent beaucoup à celles de nos sociétés.

Les débats politiques télévisés français sont-ils différents des débats politiques étrangers ?
Mon livre propose un parallèle avec le débat télévisé anglais Question Time, qui est diffusé à la BBC depuis les années 1970. La plus grande différence entre ce débat et la plupart des émissions françaises tient d’abord à leurs dispositifs. A Question Time, les questions sont posées par des quidams du public, qui interpellent les politiques invités depuis des grands gradins, en général ceux d’une université ou d’un théâtre où l’émission est enregistrée. Le politique répond, puis le présentateur de l’émission relance son invité, pour lui soumettre des objections ou lui demander des précisions. Bien sûr, l’émission est en grande partie scénarisée : les membres de ce public soumettent leurs questions au staff de l’émission qui n’en retient que quelques-unes, et le présentateur de l’émission reprend très vite la main ; au final, l’échange quidam/politique est réduit à sa portion congrue. Mais l’ensemble est tout de même assez vivant, parfois un peu brouillon ; dans cette émission, journalistes et producteurs acceptent de perdre un peu de contrôle sur l’émission produite. Cela leur est sans doute permis parce que d’une part l’émission est très ancienne, donc rodée, et que d’autre part la BBC n’a pas cette tradition française d’une image télévisée impeccable, qu’on dirait quasiment produite pour l’histoire et les archives.

Vous avez participé à de nombreux débats politiques télévisés, comment sont-ils préparés ? Les hommes politiques sont-ils en amont au courant des questions, autres invités, etc… ?

Les débats télévisés sont organisés pour faire se rencontrer des gens… qui se connaissent si bien qu’ils n’ont absolument pas besoin de se mettre au courant des questions, de l’organisation de l’émission. On pourrait chanter la petite chanson bien connue : « quand un vicomte croise un autre vicomte, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de vicomtes ». C’est un peu ça, les débats télévisés : journalistes et invités appartiennent à un microcosme plutôt fermé, très polarisé sur les mêmes enjeux. La compétition pour les premières places – les places aux élections, au gouvernement – et les sujets d’actualité (les lois en cours, les élections à venir) passionnent les membres de ce petit groupe de femmes et d’hommes. Ils ne vivent que pour ça – et de ça, pour la plupart – et savent à peu près exactement à quoi va ressembler l’émission à laquelle ils se rendent. Pas besoin donc de tellement échanger en amont, tant qu’on est dans l’entre soi. Par contre, lorsque la conjoncture politique rencontre des épisodes plus houleux – émeutes en banlieue, échec du référendum européen, ou poussée du vote FN aujourd’hui – alors les choses se tendent, journalistes et invités doivent faire face à des problématiques, des invités inhabituels. C’est peut-être paradoxalement le moment où les débats télévisés deviennent les plus intéressants, où le diable politique sort de sa boîte et oblige journalistes et invités habituels à sortir d’un certain ronronnement.

Votre vision de la prise de parole politique dans les prochaines années ?

Dans ce domaine, les prophéties se retournent contre leurs auteurs. Dans les années 1990, lorsque les débats télévisés ont quitté les prime time, beaucoup de gens se sont persuadés que le talk-show de divertissement serait l’avenir indépassable de la parole politique. Quinze ans plus tard, on se retrouve avec une grande émission politique sur France 2 à 20h40, qui parvient à rassembler en période électorale des millions de spectateurs autour d’une interview fouillée de près de deux heures ! Dans le même ordre d’idée, certains « communiquants » – en réalité, des publicitaires – martelaient depuis vingt ans l’idée que le discours politique devait être toujours plus court, toujours plus simple, et que les interventions des leaders devaient se dépouiller de toute référence savante ou littéraire. Et hop ! Depuis 2007, les Guaino, Mélenchon, Taubira et consorts rappellent les électeurs aux joies de la métaphore filée et de la péroraison.

En France, les acteurs politiques sont dans une relation d’autorité directe vis-à-vis de l’audiovisuel, et indirecte – via les aides à la presse – vis-à-vis de l’imprimé. Or, la télévision et l’écrit sont les deux principales sources d’information politique des français – l’enquête Médiapolis l’a mesuré en 2010 – ce qui implique que les politiques conservent la main sur la manière dont ils souhaitent s’adresser aux français dans les médias. Il y a donc fort à parier que dans les années qui viennent, la prise de parole politique dans les médias sera comme en ce moment, fonction du champ politique lui-même.

– Les débats télévisés en 36 questions-réponses, de Gaël Villeneuve, PUG (Presses Universitaires de Grenoble), 2013 :
www.pug.fr/produit/1118/9782706118159/Les%20debats%20televises%20en%2036%20questions-reponses
– Les résultats de l’enquête Médiapolis : http://www.cevipof.com/fr/mediapolis/rapport/

Entretien mené par Magali Bernier

Un petit rayon de Com'

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