Pourquoi la question de la souveraineté est-elle importante pour les marques ?

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Interview Frans Imbert Vier, CEO Ubcom : Le marketing est de plus en plus maladroit, car il ne peut plus s’aligner sur l’exigence du revenu et la qualité vendue.

#ParoledExpert

Nous avions donné la parole à Frans Imbert Vier, CEO Ubcom en 2019 sur un sujet d’actualité : « Les enjeux de la cyber sécurité pour les médias, les agences de RP et la communication ». L’afflux d’informations manipulées au travers des réseaux sociaux est encore aujourd’hui un terrain miné pour les plus offrants ou les plus belliqueux…

L’Europe, les institutions, les médias, les marques sont-elles toujours à la traine ? Les nouvelles contraintes ne nous éloignent elles pas encore davantage d’un marché qui nous permettrait d’être leader si nous acceptions les règles du pragmatisme économique ?

Depuis votre première intervention, qu’est-ce qui a changé fondamentalement ?

Mon propos ne va pas vous réjouir, car il n’apporte aucune bonne nouvelle. Je regrette déjà de ne pas m’être trompé lorsque vous m’aviez donné l’opportunité d’exprimer mon sentiment quant à l’avenir des communications et des médias en particulier. Si la désinformation reste en forte croissance, essentiellement en raison du crédit apporté aux réseaux sociaux et à la consolidation des rédactions dans des groupes privés politiquement impliqués, je remarque une innovation tristement absente depuis 3 ans et ce malgré la crise COVID qui aurait pu être une opportunité de moderniser certains flux éditoriaux par l’apport de la blockchain par exemple.

Votre question évoque le leadership et vous savez mieux que moi que ce dernier est perdu. Il est loin le temps du crieur à la gare vous jetant la « une » sensationnelle, faite à l’époque, pour générer l’achat impulsif et ainsi mieux comprendre un sujet qui se devait sérieux puisque c’est le journal qui en parle ! Cette époque me manque comme à beaucoup d’anciens, et plus encore après la crise Covid puisqu’on a tout de même eu droit à des fautes éditoriales majeures venant des plus grandes références mondiales comme le Lancet, l’Herald Tribune, Le Times et même Le Monde !

Le pragmatisme économique continue donc son petit bonhomme de chemin en tuant peu à peu le libre arbitre des éditeurs, devenu la seconde ou la première jambe du consumérisme. Rien n’y fait, et sans vouloir polémiquer, je reconnais peu de titres libres, indépendants et de masse. Ce dernier point est la clé du problème. En effet, un titre à 20 000 exemplaires n’inquiétera personne quand un influenceur peut en 3 mots reprendre une news sans intérêt pour alimenter 60 millions de followers ! Gutenberg ne fait plus le poids, c’est certain.

Bref, si rien n’a changé, la situation a empiré au détriment des annonceurs qui donnent l’impression de s’essouffler un peu sur fond de crise économique mondiale et de supports de diffusion peu à peu usés. Mais il y a une fausse bonne nouvelle, je suis mauvaise langue. On dit que le français passe moins de temps devant sa télé, mais beaucoup plus devant ses écrans… on est foutu comme le rappelle Fabrice Lucchini dans un long entretien il y a quelques années, mais sans manquer de faire référence à La Fontaine !

Quels sont les impacts, les effets de bords du RGPD pour les marques et les DirComs notamment ?

Je n’ai pas le sentiment d’avoir vu les marques rebondir sur le RGPD. Je ne pourrais pas en citer une qui ait réussi à faire de la contrainte RGPD un avantage marketing dans sa communication. Et quand elles font l’effort de s’y conformer, on ressent le client agacé par la sollicitation que la réglementation exige en lui demandant son consentement. Personne n’est jamais content.

Mais je vais vous raconter une anecdote. Je me trouvais dans un magasin de luxe à Paris et une vendeuse réceptionnait un SAV d’un client. Pour distinguer un vendeur des autres dans ces magasins, il suffit de voir celui qui tient un iPad dans les mains ! Le vendeur tend la tablette au client pour qu’il signe un pavé texte de 2 pages en corps 9 ! Curieux, je me renseigne sur le contenu et découvre qu’il s’agit bien d’une fiche d’information précisant le droit du client concernant sa donnée, mais rien sur sa volonté d’exprimer son opposition à un autre usage que celui destiné a gérer le SAV de son produit. Le client agacé, car toujours pressé, exprime son mécontentement à signer des trucs qu’il ne comprend pas et qu’il a autre chose à faire, après tout il s’agit que d’un SAV.

In fine, la réglementation censée protéger nos intérêts est ainsi présentée par un procédé qui lui porte préjudice en décourageant le client de s’y soumettre. La marque, elle en revanche, n’a pas innové au-delà du devoir d’information et elle s’en sort bien, car elle a fait signer au client un droit d’usage sans limites de ses données à des fins commerciales.

L’interface homme-machine reste une contrainte.

C’est un coup manqué le RGPD et j’ai bien peur que son succès se traduise dans la colère populaire vis-à-vis de “l’Europe“ et ses règlements abscons. Il est d’autant plus anéanti par le récent deal entre l’Europe et les États-Unis. Van der Leyen aura, en mon nom, échangé mes données personnelles avec les États-Unis sans me demander mon avis et pour avoir du… gaz ! Moi qui suis un Européen convaincu, je m’interroge désormais sur la nécessité de prendre un éventuel recul vis-à-vis d’une dirigeante qui n’a pas été élue !

Quelles sont les solutions métiers les plus évidentes et innovantes pour ces secteurs d’activité pour se protéger et par la même communiquer « sans contrainte » ?

Qu’est-ce que vous appelez “sans contrainte“ ?

La réglementation est là pour instruire un modèle contraint. Le métier s’adapte et je crois avoir perçu un certain sentiment de soumission chez ceux qui s’en sont préoccupés ! L’innovation aura été de permettre aux entreprises qui ont choisi de traiter le problème en consolidant leurs bases clients par un motif de collecte défendu par le règlement. Au moment de son initialisation, le RGPD invitait les organisations à contacter leurs clients pour savoir s’ils étaient d’accord de recevoir des offres, des nouvelles, bref de la sollicitation. Le résultat est que les marques qui ont pris le problème de façon pro et pertinente ont su qualifier leurs fichiers et mieux le partager avec des tiers pour les clients n’ayant pas répondu au questionnaire, qui de facto accepte la sollicitation.

Pour vous quelle est la marque la plus éthique ?

Ma réponse n’engage que moi. Mais selon les secteurs il y a des marques qui peuvent se distinguer mieux que d’autres. Le produit le moins éthique et sans doute celui issu de l’industrie électronique, donc la technologie, l’automobile, etc.

Dans l’industrie lourde, la marque BOSCH est assez séduisante pour un tas de raison.

BOSCH refuse de travailler pour le secteur militaire par exemple. La R&D intègre depuis longtemps l’analyse d’impact écologique et social quand il s’agit d’un Iot. Aussi peut on se demander, mais où sont les produits BOSCH ? Il y en a peu, car BOSCH reconnait qu’il vaut mieux produire en dernier un produit bien conçu que d’être le premier à occuper un marché avec un produit mal pensé. La conséquence est que le produit étant bien fini, il aura tendance à être utilisé plus longtemps. Son empreinte carbone sera donc moins importante qu’un produit équivalent fabriqué dans des conditions plus douteuses et avec une durée de vie plus courte.

En technologie de pointe je pense à Serenicity une petite pépite stéphanoise qui produit un composant de sécurité.

Le code est produit en France et ils vont bientôt fabriquer l’intégralité de la boîte et ses composants en Rhône-Alpes. Cela fera d’eux le premier constructeur français “green“ en fabriquant un produit qui ne se construit qu’à partir de composants nécessaires et avec une logistique carbone quasi nulle. D’autant que les fondateurs sont aussi des bons vivants qui développent des cantines avec des produits de saisons, locaux et donc pas disponibles à Brest ou Dubaï ! Je trouve la marque Serenicity éthique car leur techno comprend un indicateur de consommation carbone pour savoir comment compenser ou du moins quoi. L’éthique commence, à mon sens, là où elle produit une valeur pertinente pour un effort faible autour d’une doctrine pragmatique.

La marque MAD qui fabrique un vélo électrique en France et qui travaille à produire son propre dérailleur forcément fabriqué au Japon ! La COVID a produit des marques éthiques en quantité grâce à la prise de conscience de la dépendance industrielle du monde à l’égard de la Chine pour l’essentiel. Mais honnêtement, comment peut-on parler d’éthique dans une économie de marché ? Assez plaisanté, la marque la plus éthique, c’est Emmaüs, sans aucun doute car son bilan carbone est positif et son action sociale salutaire.

Que pensez-vous de cette citation ? : « La majorité ce n’est personne, la minorité c’est tout le monde » — Gilles Deleuze.

Je n’ai lu de Deleuze que sa définition de la Philosophie, et j’aimais bien sa faculté à produire du désaccord chez ses pairs. Je me révèle à vous en vous disant que ma mère était professeure de philosophie, disciple de Vlademir Jankelvitch.

Sa citation me ramène à Cicéron repris depuis par nos contemporains comme Vian ou Coluche qui rappelait que dans un discours il est toujours précieux d’adapter son verbe au plus « simplet » de l’assemblée. On y retrouve Deleuze et je ne crois pas que son propos soit contestable aujourd’hui. Transcrite dans le monde digital, un follower parmi des millions forme une majorité de like et pourtant il n’est personne, quant à l’influenceur, il est bien seul et minoritaire et représente tout le monde ! Aussi, je n’en pense pas du bien, mais il faut reconnaitre qu’il avait raison.

Qu’entendez-vous quand vous dites que la question de réciprocité est avant tout une question d’usage ?

Le principe de réciprocité est une notion d’équilibre des avoirs entre les parties. La proportionnalité juste, sans controverse ni objection forme un statu quo qui invite à l’équilibre des émotions, donc de la satisfaction de chacun. La forme des échanges que le monde occidental propose à ses sujets n’est pas équilibrée et ne constitue donc pas un usage.

Pour exemple, prenons l’opérateur Orange et son engagement à couvrir qualitativement le territoire.

Je vois que selon le lieu où ils habitent, des clients n’ont pas les mêmes performances et pourtant ils ont le même abonnement et le même prix. Dans le cas de celui qui a une bonne qualité de service, on pourrait dire qu’il y a une réciprocité entre la promesse commerciale, le prix payé et le service rendu. Pour l’autre, celui qui vit « en bout de ligne » comme on dit, n’a que ses yeux pour pleurer, car le discours marketing du support de l’opérateur est très bien rodé pour lui proposer d’entrainer sa patience !

En effet, la réponse est “je vous envoie un technicien… » à chaque fois. Même si ça ne changera rien, même si le technicien ne vient finalement jamais et même si Orange le voulait, la qualité de service ne changera pas. Mais le client continuera de payer un service mal rendu et pour entendre combien on est désolé « mais que tout va bien se passer » pour reprendre un propos devenu célèbre.

Le marketing est de plus en plus maladroit, car il ne peut plus s’aligner sur l’exigence du revenu et la qualité vendue. Il y a une distorsion grandissante à laquelle l’usager finit par se plier, car il n’a d’autres choix que de se soumettre à l’offre. S’en retirer nécessite trop d’efforts, trop de changements, trop d’un temps qui est déjà accaparé par l’écran… C’est magique. Peu à peu, quel que soit le secteur, même dans le luxe, la promesse est de moins en moins tenue, le prix de plus en plus aberrant et le service de plus en plus absent.

Vous savez combien je connais Apple et je vais partager avec vous un constat.

Steve Jobs avait une obsession de l’objectif atteint. Quand il avait un produit en tête, sa conception devait correspondre à ce qu’il imaginait. Lee Clow, le Directeur de création de TBWA\Chiat Day, l’agence historique d’Apple, disait dans un séminaire en 2005 à Los Angeles que Steve Jobs considérait le produit fini quand il en tirait une émotion en le voyant, en le touchant. Steve devait frissonner devant son design et son interface comme il frissonnait en voyant pour la première fois une Porsche 911, qu’il considérait être l’objet le mieux dessiné de tous les temps.

Cette exigence permettait à la marque de proposer une réciprocité avec son client en tenant sa promesse de fournir pour un prix d’exception, un produit d’exception. Le premier iPhone, la version 3, fut un produit qui a bouleversé chaque acheteur, chaque client, chaque usagé. Très honnêtement, le 9 janvier 2007, personne n’a pu dire «  Ouais bof, rien de nouveau.“ Ce jour-là, je peux vous dire que chez BlackBerry et Nokia ça pleurait , autant pour leur avenir que pour passer commande et avoir le produit avant tout le monde. Cette « émotion-produit », celle qui œuvre sur un monde nouveau en offrant une innovation complète, il n’y en a pas eu depuis.

Le Metavers était déjà écrit, l’IA aussi, rien de nouveau.

Steve disparait et son successeur Tim Cook se voit porter la vision de la plus grande marque du monde pourtant incarné par un seul homme. Tim Cook ne ressent pas les émotions comme Steve. Ce n’est pas un Émotif Anonyme comme j’aime à le dire en référence au très beau film de Jean-Pierre Améris. Le résultat est là, 11 ans après la mort de Steeve, les produits Apple sont truffés de défaut de conception, au même niveau qu’un Samsung, voire pire, car le travail de test des systèmes d’exploitation n’est plus aussi rigoureux que du temps de Steeve. Pourtant ils sont plus chers. Avant 2007 les failles critiques se comptaient sur les doigts de la main, désormais c’est une faille par mois au minimum. Pourtant on devrait se dire qu’au contraire, plus on avance, plus on s’améliore. Et bien non. Raté, plus on avance, plus on s’enfonce ! Toutefois, cela a le mérite d’être aligné avec les tendances des crises géopolitiques du moment, le réchauffement climatique et surtout le génocide du vivant tel que le raconte si bien Aurélien Barrau qu’il ne faut pas écouter sans y être préparé ! Le marketing se voit obligé de se soumettre à l’exigence de l’actionnaire qui attend une rentabilité supérieure en fournissant un procédé industriel qualitativement de plus en plus mauvais. Forcément au bout d’un moment on s’écarte de l’omission accidentelle pour s’installer dans le mensonge avéré. Le marketing devient ainsi non plus un compteur de promesses, mais un menteur dans le déni.

L’IA est-elle le Graal que l’on nous présente ? Quels sont aujourd’hui ses bienfaits, ses contraintes et ses contradictions ?

L’Intelligence artificielle (IA) c’est votre problème de demain et c’est aussi le mien.

De l’IA je vais associer une technologie qu’est le métavers. Les deux sont indissociables, car l’un a peu d’intérêt sans l’autre et l’autre ne peut pas être pertinent sans l’un. Pour aider vos lecteurs à mieux comprendre la définition de l’IA telle qu’on la connait aujourd’hui, c’est simplement un effet de calculs comparés qui produit un résultat sur une chaine de données qui nous parait aléatoire, à nous humain. Car trop de données tuent la raison et impliquent de prendre un parti pris. Par définition en IA il n’y a pas de parti pris. Le résultat est censé être factuel. Je précise « censé« , car l’IA produit le résultat qu’on lui demande, pas celui qu’elle produit d’elle-même. L’IA reste un modèle mathématique et non biologique, il est donc totalement prévisible.

Le métavers c’est un environnement technologique qui inclut de la réalité augmentée, de l’IA bien sûr, mais aussi une histoire, un scénario si vous préférez. Le métavers est une histoire dans laquelle on se plonge soit en acteur soit en spectateur, parfois les deux. L’invite est courtoise quand on invoque que l’acteur produit l’histoire, mais au-delà de la capacité du jeu vidéo, vous irez là où on a prévu que vous iriez. Que vous le vouliez ou non, vous le ferez. C’est à ce moment-là que l’IA intervient et son rôle consiste bien à vous emmener là où vous le souhaitez en ayant anticipé un panel de choix en amont qui vous aura laissé croire que vous gardez le libre arbitre. Partant de ce constat, au-delà de l’enjeu moral et éthique, l’offre est intéressante pour l’annonceur. Et il a raison de le croire. C’est même terriblement prometteur.

Le métavers associé à l’IA va permettre au consommateur d’aller là où il le souhaite sans jamais supposer un instant que son libre arbitre a été compromis dès le départ.

Ainsi l’annonceur est totalement irresponsable des choix de son consommateur pourtant pleinement manipulé. Alors les vieux routards comme nous seront protégés de cela, car si le développement du métavers pour les EPHAD se fait probablement au nom de la stimulation et de la pudicité que cela peut produire, ce sont les jeunes qui vont « en manger ».

Les annonceurs actuels se positionnent et Meta les aide grandement à innover dans ce sens. Mais avec recul, cette technique va apporter de nouveaux annonceurs comme les partis politiques, les mouvements de pensées, les associations, les services publics, etc. Cela va créer aussi de nouveaux espaces, mais seront-ils accessibles à tous ? La question est posée, les grands diffuseurs ne vont pas se priver de s’octroyer une détention monopolistique. Pourquoi s’en priver, le législateur n’a rien prévu, la voie est libre et que le meilleur gagne.

A mes yeux, le métavers, aujourd’hui sans loi, sans éthique, sans déontologie et sans code des usages sera un très gros accélérateur de l’appauvrissement des masses. On ne rendra pas les usagers plus intelligents grâce à cela, au contraire. On va en faire des moutons heureux, dopés à la dopamine jusqu’à changer la programmation de l’homéostasie au point qu’on s’émerveillera de la montée des eaux et des terribles canicules à venir tout en supportant l’idée de vivre différemment en moins de deux générations.

La contrainte est donc que le développement du message publicitaire de demain dépendra du plus imaginatif, du plus audacieux et surtout du plus riche en data. Le pauvre, sans idée et trop proche de la morale n’aura plus aucune chance d’émerger dans le monde des annonces. Du coup, la diversité en pâtira, le message monogame s’instaurera comme le conditionnel du marketing monolithique proposé par les auteurs de Wall-E, criant de justesse sur ce thème.

La consommation étant devenue plus spontanée, le message devra l’être d’autant. Le fondement même de la conscience de la vie, c’est le temps. Il définit notre espace et la limite de notre raison. En accélérant la diffusion du message, en concentrant sa force de persuasion et en répétant ces dernières mille fois plus que ce que les supports nous délivrent aujourd’hui, vous distinguerez une marque d’une autre, non par sa qualité ou son innovation, mais juste par la force de sa puissance marketing, c’est-à-dire de sa capacité à occuper le temps de cerveau disponible.

Frans Imbert Vier — CEO Ubcom.

Pour vous, pourquoi les consommateurs ont-ils perdus confiance envers toutes les institutions ?

Je crois avant tout que le consommateur a perdu confiance en l’institution du fait que l’offre n’est plus alignée avec l’attente. Il faut bien comprendre que la transition se vit toujours. Il existe encore des gens qui vivent avec pour acquit de leurs connaissances élémentaires l’idée que la communication n’est pas instantanée. Tandis que 80 % du reste de la population vit avec cet acquiS. Même si rechercher une cabine téléphonique avec une pièce de 5 francs (qu’il fallait surtout avoir) était un défi contraignant, il avait le mérite de nous faire vivre des histoires. Quand l’information vient à vous aujourd’hui, c’est un instantané qui comprend la question, la réponse, l’analyse et le mot de la fin. Avant, on recevait l’information, sans la réponse, sans la fin et avec parfois, selon le média une timide analyse. Ce verbatim de la communication génère un endormissement du muscle cérébral faisant appel à notre raisonnement doucement inhibé dans un sommeil terrifiant.

Le consommateur, vous, moi, subissons désormais l’offre, et nous ne sommes plus en mesure de choisir. Pour exemple, combien de moteurs de recherche utilisez-vous ? Un seul bien sûr et toujours le même : Google. Au point de l’introduire dans le langage courant au travers de la conjugaison du nom propre : “J’ai googuelé “ Ah !, c’est pitoyable.

La perte de confiance en l’institution vient non seulement de son inaction, mais surtout de la diversité de l’offre qui se résume ainsi : nulle.

Sans paraître gavé d’idées noires que Frankin nous diffusait si justement, imaginez un instant que désormais vous ne ferez plus l’usage de l’internet et des réseaux sociaux, sans omettre votre messagerie. On revient à 1984. Un temps d’arrêt et vous voyez que ce n’est pas possible simplement parce que vous n’y êtes pas préparé. Si cet état est bien inscrit dans votre pensée, cela veut dire qu’on a réussi à vous faire croire que c’est indispensable, voire vital. C’est vous qui voyez !

Voyez-vous de nouveaux modèles coexister à l’avenir et si oui lesquels ?

Je dois manquer de vision, mais je n’en vois pas se pointer à l’horizon. Les acteurs politiques européens ont tout fait depuis 5 ans pour augmenter la dépendance de l’Europe à l’égard du modèle américain. Je ne parle pas que de la technologie, mais aussi du modèle de pensée. Thierry Breton a baissé les bras, invoquant une complexité sans nom à mettre tout le monde d’accord en 23 langues ! Von der Leyen est perçue comme un ovni pour 42 % des Français dans un sondage pour l’institut Européen. Et technologiquement rien de neuf dans les start-up pour le moment. Enfin si, on va vous faire des NFT sur des blockchains rassurantes comme Ethereum pour un prix supérieur à la valeur faciale du produit réel. Il n’y qu’à voir l’exemple du sac Birkin d’Hermès. Il y a quand même un individu qui a vendu un NFT Birkin plus cher que le vrai sac qu’il n’avait pas… et il y avait un acheteur pour payer ! Comme quoi tout est encore possible.

Enfin, pourquoi la donnée reste une question de souveraineté, d’agilité, d’indépendance et in fine de vivre ensemble ? Pourquoi la question de la protection, de l’hébergement est fondamentale ?

J’adore votre question. Elle résume le danger qui nous pend au nez. La donnée c’est une information. Elle peut constituer un savoir partiel ou intégral. C’est aussi parfois un factuel sans intérêt qui indique une valeur qui n’a du sens qu’au moment où elle est produite. Bref, quoi qu’il en soit, l’information est une connaissance et la connaissance reste la première substance du chef. Attention de bien distinguer la connaissance et le savoir qui selon Marx et Engels pensent que le réel existe indépendamment de l’esprit ou de l’intelligence ou se le représente (J-P. Durand, La Sociologie de Marx, Ed. La Découverte).

En synthèse, si je manipule votre connaissance, je joue de votre libre arbitre au profit de celui qui détient le robinet de l’information.

Quand cette dernière est dans un cloud américain, géré par une société américaine, ce que vous croyez acquis ne l’est plus, car l’américain considère que cette information lui appartient. Il peut choisir de l’altérer, la changer, l’effacer ou la diffuser. Elle peut dès lors sans aucun doute ne plus correspondre à la réalité. Il peut en faire ce qu’il veut et pourtant c’est votre information.

Le meilleur exemple, un peu mon préféré, c’est l’hébergement proposé par Bercy pour le Health Data Hub. Le concept de cet outil est destiné à faire avancer la recherche médicale en mutualisant de façon anonyme les données de santé consolidées des laboratoires, hôpitaux, cliniques et centre de recherche comme l’INSERM et le CNRS. Nonobstant, l’évidence que la donnée est anonymisée, le principe de son anonymisation irréversible n’est toujours pas écrit et il ne tient pas compte de la double exploitation de cette information par l’hébergeur qui jure ne jamais y avoir accès.

Pour moi, il n’y a pas plus menteur qu’un américain en affaire. Non seulement on paye des soins (argent de la communauté) qui produisent de la donnée (la vôtre), que l’on installe sur un serveur (l’américain), que l’on paye pour cela et en plus on ne peut pas se préserver de la loi extra territoriale américaine que je résume grossièrement ainsi : ce qui est à toi est à moi, si ça m’intéresse !

De ce constat, il faut savoir qu’un dossier patient basique, soit une analyse biologique hématologique vaut 0,80 centimes sur le darknet. C’est le même prix qu’une carte MasterCard volée. Un dossier patient en oncologie vaut entre 3 et 8 $ !

Pourquoi si cher ?

Hé bien il faut le demander aux big pharmas qui sont les premiers clients de ce genre de données. Cette donnée permet d’assurer une perspective de marché pour une molécule en développement. Grâce à la donnée hématologique, je pourrais prédire que dans 5 ans, en Europe de l’Ouest, sur les côtes de mer (zones humides), les arthrites vont augmenter pour un potentiel de… 34 millions d’habitants.

À raison de 50 boîtes par habitant pour un traitement de fond et une marge moyenne de 8 € par boîte mon revenu sera au minimum de….13 milliards. Mon risque est faible, je mets donc 3 milliards pour développer la molécule, ça vaut le coup. Sans la donnée biologique, vous faites un pari audacieux, alors vous n’y allez pas. Du coup, c’est à double tranchant. Grâce à cette donnée, les pathologies futures seront traitées, en revanche, les pathologies minoritaires seront négligées.

Un grand labo ne prend plus de risque industriel, il ne prend qu’un risque financier, mais toujours gagnant.

Par contre, il fait de la pub et de plus en plus non pour dire que son médicament est merveilleux, mais pour rappeler combien il est gentil de travailler si dur pour sauver tant de vies. Les labos ont tellement honte qu’ils ne font de la pub que pour préserver leur éthique et nullement la performance scientifique qu’ils pourraient pourtant produire. Le meilleur exemple qui reste sous nos yeux est celui de Sanofi et de ses annonces sur le vaccin Covid.

Le paradoxe, c’est qu’en France la donnée statistique est gratuite. Un laboratoire de biologie par exemple n’a pas le droit de vendre sa donnée. Il peut produire une analyse à partir de la donnée et vendre l’analyse, mais pas la donnée brute.

Entre temps, la guerre d’Ukraine a fait basculer deux pays européens vers l’OTAN. Celui qui est membre de l’OTAN doit tout partager. C’est un deal dans le pacte afin de faciliter et améliorer la lutte contre le terrorisme et toute menace régalienne. Il reste la Suisse, le dernier Etat non allié, non obligé et fédéré par une démocratie directe ou la préemption de l’information reste un droit essentiel au citoyen.

Il existe beaucoup de définitions de la souveraineté.

Ce qui échappe aux politiques, c’est que la souveraineté numérique est une notion immatérielle. Vu l’âge moyen du politicien en France, la majorité ne comprend pas ni comment ça marche ni même pourquoi on s’y intéresserait. Pourtant, c’est l’action politique à l’égard du concept de souveraineté qui va déterminer la posture politique d’un État. Plus je dépends d’un tiers, plus je suis dépendant de lui donc influençable. Ce constat invite à réfléchir sur l’enjeu de la souveraineté. Et le problème rapporté aux marques, serait de croire que celle qui démontre vouloir tout faire pour protéger l’information de son client sera la plus éthique et la plus noble, mais sans doute l’une des moins rentables sur le court terme. En effet, la donnée vous donnera accès aux mondes à venir comme le métavers qui ne peut pas exister sans elle.

Ainsi, la souveraineté est le dernier rempart de la démocratie, du libre arbitre et de la préservation politique et sociale d’une nation, d’une culture, d’un peuple. Il ne faut pas jouer avec et pourtant, depuis 1997 et le discours de Clinton, les Américains ne font que cela sans jamais en être empêchés par les Européens. Il se produira à court ou moyen terme avec la souveraineté numérique le même problème que celui que nous avons avec l’énergie, en ce moment même.

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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