La flamme de Christiane Taubira : le médiatraining, cet élément qui change tout

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Par Florian SILNICKI, Expert en stratégie d’information et de communication de crise – @floriansilnicki

Selon les opinions, sa communication est considérée comme brillante, professionnelle, ou démagogique, voire parfaitement populiste et dangereuse. Allons au-delà de ces jugements superficiellement tranchés et trop rapides pour se risquer à une analyse rigoureuse de la communication déployée pour sa première émission en « prime time » en tant que ministre de la Justice.

A l’occasion du dernier numéro de l’émission politique présentée par David Pujadas, Des paroles et des actes, diffusée le jeudi 5 septembre sur France 2, nous retiendrons surtout l’excellence de la forme de la prestation de l’invitée de la soirée, la Garde des Sceaux.

Christiane Taubira a une nouvelle fois fait preuve de ses qualités exceptionnelles d’oratrice. Ses prises de parole présentent tous les ingrédients d’un médiatraining intense et millimétré. Décryptage de la communication d’une icône de gauche massivement rejetée à droite.

Christiane Taubira sait que l’interview est un jeu d’équilibre entre les deux parties. Sa prestation répond à un certain nombre de règles et de principes clés qu’il est intéressant d’identifier. La Ministre n’a jamais dérogé aux règles à suivre pour que son discours soit bien perçu et compris de tous.

Voici les 6 règles d’or de l’interview suivies par la Garde des Sceaux pour faire face à un journaliste qu’elle sait plus curieux et informé que la moyenne, ayant une appétence particulière pour décrypter et faire comprendre l’actualité mais qui n’est pas un spécialiste des sujets judiciaires qu’il va traiter.  Elle sait qu’il est animé par la volonté de confronter des points de vue mais reste libre dans le traitement qu’il en fait mais surtout elle mesure dès le départ qu’il est dans une recherche permanente de la nouveauté, du scoop.

Règle numéro 1: Le discours doit être simple car compréhensible par le plus grand nombre.

L’auditeur n’est pas un spécialiste et est souvent multitâche. Il vous écoute en rédigeant un texto, un mail, en repassant ou en dinant. Il faut donc lui «prémâcher» l’information. La ministre a donc cherché à minimiser autant que possible son jargon judiciaire : l’usage de termes techniques a été limité au maximum et les acronymes ont souvent développé ou explicité directement ou par des illustrations.

L’un des objectifs de la communication de la Ministre est de ne pas rompre la solidarité gouvernementale afin de ne pas porter de responsabilité particulière dans l’opposition désormais publique avec le Ministère de l’intérieur. Il faut avant tout ne surtout pas raviver cette opposition par ce passage télévisé. La Ministre savait qu’elle serait interrogée sur cet affrontement par presse interposée avec le Ministre. Elle utilisera alors la formule « ça fait plusieurs semaines qu’on joue un match sans joueur. On ne joue pas un match, nous sommes ministres ! »… et c’est bien joué !

Tout d’abord, le discours a porté un message-clé. Il n’a jamais été terni par l’envie naturelle de la Ministre d’en dire trop afin d’éviter la contre-productivité.  Son discours est donc allé à l’essentiel et s’est structuré autour d’un message principal simple et marqueté.

Son discours a été étayé par des exemples bien choisis. Pour être compris de tous, elle n’a pas fait de grandes phrases, et a préféré des phrases incisives et courtes, clairement préparées à l’avance. L’intérêt ? Ne pas faire sortir la Ministre de son message principal.

Règle numéro 2 : La Ministre doit trouver l’équilibre entre un discours judiciaire technique, doit rester rationnelle face aux faits divers tout en relatant l’état juridique présent… et le discours affectif et émotionnel que la téléréalité a imposé dans le paysage audiovisuel.

Elle a privilégié un discours simple et illustré, directement accessible par tous, en s’efforçant d’aller en permanence à l’essentiel par des idées claires et imagées.

Elle ne se laisse jamais porter par la conversation et les journalistes n’arrivent jamais à la mettre en danger alors que les tentatives comme les raisons objectives de l’être n’ont pas manqué. Elle n’oubliera jamais le message-clé qu’elle est venue porter sur le plateau alors que l’émotion fut préemptée comme jamais par la chaine avec un témoignage anonyme de la mère d’une victime violemment touchant.

S’il apparaît que le contexte compliqué de l’intervention de la mère anonyme de la victime a impacté fortement le niveau d’émotivité du plateau.

En affirmant « J’ai une règle : face aux victimes, je fais silence. Là, je cherche mes mots. » « C’est trop facile », lance la mère. « Je m’incline, c’est tout (…) Je salue le courage qu’il faut pour venir témoigner. J’espère que sa fille ira bien. Je sais que l’on me rend coupable de tout, mais je l’accepte. Je n’ai pas souvenir que d’autres gardes des Sceaux aient eu ainsi à répondre des décisions de justice, mais je m’incline. »…

… elle a su situer son discours à mi-chemin entre le drame que constituent les horribles faits criminels commis à l’égard de la victime dont la mère vient exprimer les souffrances sur le plateau et les réponses affectives et techniques que la Ministre républicaine qu’elle peut et doit apporter. Elle mesure bien que ce témoignage très déstabilisant peut fausser le jugement de l’audimat sur son action politique et l’impact de la réforme sur la contrainte pénale qu’elle porte. Il y a trois objectifs à atteindre pour elle. Elle s’attache donc à tenir un langage aux accents de vérité en surjouant la mobilisation ministérielle, elle fait acte de pédagogie en développant (clairement et simplement) l’argumentaire de sa réforme politique et donne des preuves d’empathie envers la mère de la victime qui témoigne.

Attaquée sur plusieurs autres points, elle répondra efficacement mais toujours aussi symboliquement « J’ai été députée pendant quatre législatures. Je m’implique passionnément dans ce que je fais. J’ai estimé que je voulais vivre à un autre rythme. » cherchant à objectiviser son propos, rappelant son expérience pour tenter de montrer sa mobilisation totale, comme pour tenter de contrebalancer d’éventuels excès.

Évidemment à chaque fois , cela se déroule en plusieurs étapes mais la Ministre cherche à parvenir à calmer les hommes, à rassurer l’opinion publique et à informer sereinement l’auditeur. Elle cherche à réussir à ne pas donner l’image d’une ministre dépassée par un fait divers tragique ou une attaque. C’est là où son entrainement médiatique est précieux. Le Médiatraining permet à la Ministre de savoir ne pas réagir sous la contrainte médiatique tout en tentant d’empêcher une crise de confiance en sa réforme.

De façon plus générale, elle n’a pas hésité à avoir recours à des éléments de discours affectif et à user d’exemples précis pour rendre son propos plus impactant. Quand la chaine a ainsi diffusé des photos de sa jeunesse, elle lâchera un « J’avais un chagrin d’amour ».

Les exigences des Français en matière d’informations relatives à des réformes politiques se caractérisent par une demande d’information et de transparence très forte, demande qui se trouve renforcée en période de crise économique.

Un paradoxe intéressant dans le Médiatraining de la Ministre est d’ailleurs à soulever. Elle a manifestement compris qu’en cette période de défiance, c’est la parole de l’expert qui s’impose dans l’opinion publique comme la plus rassurante et surtout, la plus fiable. Elle a donc cherché à techniciser son discours, ce qui l’a rendu au plus fort des échanges un peu inaccessible et parfois peu compréhensible pour l’auditeur grand public.

Règle numéro 3 : La Ministre doit opter pour un discours de confiance rassurant surjouant la transparence et la sincérité.

La Ministre dira «Je n’ai jamais dit que j’étais gentille, moi !» comme pour mettre en avant dans cette formule simple sa transparence personnelle, sa sincérité humaniste.

Face à Christian Estrosi, elle a su adopter le ton du réalisme et de la transparence : préciser la réforme, ne pas hésiter à expliquer simplement des notions complexes qui méritent de l’être pour mieux lui faire comprendre le sujet apparaissant alors comme celle qui maitrise son dossier.

Elle a su éviter d’opter pour un discours trop revendicateur ou agressif.

Elle a su casser les spéculations et les prédictions sur le futur que tentait d’installer habilement Christian Estrosi.

Règle numéro 4 : La Ministre peut s’appuyer sur des formules, des images chocs préparées par ses conseillers.

La Ministre a saisi chaque question comme une occasion pour elle de raconter une histoire. Elle a toujours cherché à illustrer ses propos et a même réussi à surprendre les journalistes au cours de l’émission. En redoutable professionnelle du « storytelling », elle a mis en spectacle l’ensemble de son action publique et de sa réforme politique.

C’est là que le travail préparatoire à l’émission est perceptible. Il a manifestement consister à notamment à trouver les images ou exemples qui lui ont permis d’illustrer et de rendre vivant ses propos tout en rendant son discours plus crédible.

Elle reprochera ainsi à Christian Estrosi de «penser par slogans» avant de lui lancer cynique et presque méprisante « Même un élève de maternelle peut dire ça ! ». Ces formules sont intéressantes en ce qu’elles conduisent Christian Estrosi à être tenté de répondre à ces attaques et à ne pas se concentrer sur le fond du débat. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de relever la tactique travaillée au cours de Médiatraining consistant à attaquer de façon virulente ce dernier dès ses premiers mots. Cette proactivité visait à ne pas laisser l’ancien Ministre développer ses propres arguments. Ses attaques visaient à obliger l’adversaire de la Garde des Sceaux à se situer sur son propre terrain préalablement travaillé avec ses communicants.

On retiendra la très efficace et empathique formule « Face aux victimes, je fais silence ! » et parlera d’un « travail d’endoctrinement » de l’opposition.

La formule choc de la soirée reste sa réponse aux violentes attaques de ses adversaires politiques : « J’ai même apporté les clefs, je vais les ouvrir toutes ! » ce qui l’amènera à gagner la sympathie collective en faisant rire le plateau. Faire rire est une arme particulièrement efficace dans une stratégie argumentaire et « Le rire est une bouée de sauvetage. » comme disait Michel Serrault.

Règle numéro 5 : La Ministre doit répondre à toutes les questions et répéter comme un disque rayé ses messages-clés.

Elle a su éviter les réponses du type « pas de commentaire ». Elle a toujours répondu à la question des journalistes, même si sa réponse a consisté à dire qu’elle ne pouvait pas répondre (pour telle ou telle raison) avant de revenir systématiquement à ses messages-clés. Interrogée sous forme de quiz, elle utilisera la discréditante formule « Je refuse qu’on m’oblige à renoncer à l’intelligence » avant de se dire plutôt favorable à la PMA tout en refusant que l’on coche la réponse « oui » pour continuer de maîtriser sa parole et son positionnement.

Par la répétition de ces « éléments de langage »,  elle a contribué à creuser des fractures, à identifier des oppositions dans l’opinion publique et à entretenir des conflits sur l’échiquier politique. Elle a clivé pour donner du relief et de l’efficacité à son propos. Son message principal est clairement « La contrainte pénale n’est pas un cadeau, c’est une vraie peine.».

La Ministre est par ailleurs totalement restée maître de son image et de son histoire personnelle. Quand le journaliste lui a rappelé qu’elle était titulaire d’un doctorat d’économie, elle a immédiatement tenté de discréditer cette information en le renvoyant dans ses cordes et en se rattachant immédiatement à son message-clé.

La Ministre utilisera aussi systématiquement les questions des journalistes comme des occasions de passer ses messages sans même y répondre un seul instant. Manifestement alerte et intransigeante, l’entraînement médiatique de la Ministre la conduit souvent dans l’esquive mais constitue un filet de sécurité en l’empêchant de tomber dans les nombreux pièges journalistiques tendus.

Elle a d’ailleurs à plusieurs reprises pris acte de la question qui lui était posée mais parce qu’elle ne souhaite pas y répondre a orienté le journaliste vers un autre sujet, cherchant à susciter là une nouvelle occasion de diffuser son message clé. On l’a ainsi entendu dire «Votre question est intéressante, mais laissez moi vous dire…» ou encore «Ne perdons pas de vue ce qui est essentiel, à savoir…»

Règle numéro 6 : La Ministre ne doit pas perdre la maîtrise de son temps médiatique.

Elle a manifestement réussi à ne pas se laisser imposer le timing des journalistes dont l’animateur était le garant.

Sur-médiatrainée, la Ministre sait que le principe de cette émission politique est le décompte du temps. Elle en est très soucieuse et cela transparait dans plusieurs de ses interventions à l’image des suivantes : « Vous ne maîtrisez pas les choses Monsieur Pujadas », « Vous m’empêchez de lui répondre mais vous ne lui dites rien », « Vous manquez d’autorité » ou encore « Comment le temps est-il décompté ? » alors que Christian Estrosi parle en même temps qu’elle usant d’une technique classique de débat et tentant de l’interrompre dans sa démonstration pour mieux reprendre le leadership dans la joute verbale.

La Ministre n’a pas fait de digression et s’est focalisée sur des réponses courtes afin de ne pas diluer ses messages. D’où l’importance de commencer par la conclusion afin de faire passer ses message-clés en tout début de réponse pour ne pas prendre le risque d’être interrompue.

Chaque réponse de la Ministre débute par sa conclusion, c’est-à-dire le message. Puis elle l’illustre par un exemple précis et parlant.

Elle n’oublie pas que la gestion des silences doit être faite par le journaliste et pas par l’interviewée qu’elle est.

Elle fait systématiquement des questions « ouvertes » et générales l’occasion de prendre l’initiative en diffusant les messages clés du discours.  Interrogée sur son conflit avec le ministre de l’Intérieur, Taubira rétorquera ainsi : « C’est bien que Manuel Valls soit populaire. Ça vous pose des problèmes à vous ? ». Interpellant ainsi le journaliste qu’elle prend à partie, elle l’oblige à se justifier ou à passer à un autre sujet.

Comme elle sait que David Pujadas observe chacune de ses réactions et que les indications données involontairement lui permettent d’orienter son interview et afin de ne pas réagir trop instinctivement, elle prend systématiquement 2 ou 3 secondes pour poser sa voix et ensuite débuter sa réponse ou donner son explication.

Christiane Taubira reste une stratège communicante hors pair. Si le débat politique a toujours été une affaire de passion plus que de raison, la Ministre a systématisé l’application des règles de la maîtrise de l’interview et surjoué son positionnement dans un registre émotionnel. Son vécu, son parcours, sa souffrance, son engagement… La ministre a utilisé toutes les techniques de la prise en parole télévisée. Affirmant sa vérité intime de ministre, ses médiatrainings se sont manifestement déroulés autour de la thématique de son authenticité, cherchant à susciter un sentiment de vérité chez l’auditeur. « DPDA » n’a pourtant touché que 9,1% de part de marché (2,02 millions de téléspectateurs). Un résultat qui n’est manifestement pas à la hauteur du dispositif de communication mis en oeuvre par la ministre.

Propos recueillis par Alexia Guelte Morot, Responsable Communication Externe de l’Argus de la presse.

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